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Regard critique · Justice sociale

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Filmer la différence

Elle a su imposer une personnalité hors du commun, un univers particulier teinté de poésie et de dérision. Avec Henri, premier film qu’elle réalise seule, elle aborde un thème cher à son cœur : la différence.

Elle a su imposer une personnalité hors du commun, un univers particulier teinté de poésie et de dérision. Avec Henri, premier film qu’elle réalise seule, elle aborde un thème cher à son cœur : la différence.

Elle pose, depuis trente ans, son regard bleu azur sur un monde capable du pire comme du meilleur. Yolande Moreau veut croire au meilleur, celui qui unit les gens, les rend solidaires et spontanés. « Je suis portée vers les histoires de coups de cœur qui surgissent aux hasards de la vie et forme des couples improbables. L’amour n’a que faire de la différence. À mes yeux, il y a beaucoup de ressemblances dans la différence ! Tout le monde vit les mêmes préoccupations existentielles. Les gens ont les mêmes sourires, les mêmes peurs et les mêmes doutes, handicap ou pas. »

 Derrière la caméra, elle scrute les sentiments de personnages fragiles et bousculés. Dans Quand la mer monte, acclamé et auréolé de deux Césars, elle portait déjà haut l’incroyable capacité de gens simples et généreux à vivre un amour sincère. Des personnages sur le fil, fragiles, voire marginaux. « On est tous comme ça non ? Sur le fil. Il n’y a pas de hasard. Je devais, sûrement, ressentir un mal-être que j’ai choisi d’exprimer par la comédie. Avant, je disais même que je faisais de la psychanalyse à bon marché. Aujourd’hui, je fais ce métier par plaisir en savourant ma chance. »

La différence : et alors ?

 Elle a cherché Yolande, comme bien des jeunes filles des années 70. Entre mysticisme et vie en communauté. Il y a eu le théâtre pour enfants puis très vite l’envie de se lancer seule, pour assumer une sensibilité déconcertante. Son spectacle Sale affaire la propulse comme une nouvelle Zouc (elle aussi, à part et tellement proche). Agnès Varda la choisit dans Sans toit ni loi, puis ce sera Les Deschiens et la troupe Deschamps-Makaïeff fin des années 80.

 Complètement décalée, elle déboussole et hypnotise les spectateurs, tour à tour attachante ou monstrueuse. La Bruxelloise casse les codes et s’impose comme une immense comédienne. En 2009, elle reçoit le César de la meilleure actrice pour Séraphine de Martin Provost, l’histoire vraie de Séraphine de Senlis, peintre autodidacte dont « la folie » (elle finira ses jours en asile) éclatera sur des toiles à la naïveté colorée. Et la comédienne de toucher du doigt, toujours, le génie des « incompris ». Avec Henri, elle a imaginé une autre rencontre improbable, celle d’un quinqua meurtri et d’une jeune fille un peu à l’ouest. « Au départ, il y a cet homme seul, éteint, un peu aviné. Le genre de type qui se retrouverait dans une chanson d’Arno, désespéré mais qui ne demande qu’à se réveiller. Et puis, il y a Rosette, un papillon blanc (NDLR surnom parfois donné aux personnes handicapées mentales) venu d’une institution toute proche, en quête de bonheur. Mon héroïne, Candy Ming dite Miss Ming, est absolument déconcertante dans la vie et c’est pour cette raison que je l’ai choisie. Elle aussi cherche à résoudre des énigmes quant à son existence. Elle écrit des poèmes et les récite dans la rue. »

 Jouer de son handicap

 Yolande Moreau a tourné avec une troupe de comédiens de Roubaix, tous déficients mentaux. « J’avais entendu parler de la Compagnie de l’oiseau-mouche. Je leur ai proposé, de but en blanc, d’incarner… des handicapés mentaux. Ce qui a été difficile à accepter. Car ce qu’ils veulent justement, c’est interpréter des personnages qui ne leur ressemblent pas et laisser leur handicap au vestiaire. Je leur ai donc expliqué : moi, je suis comédienne mais je ne pourrais pas jouer une belle jeune femme blonde et mince ! Et on ne me le demandera jamais. Un comédien fabrique ses personnages avec ce qu’il est. Votre handicap fait partie de vous mais vous pouvez aussi en jouer.

Handicapés mentaux, personnes déficientes mentales, on emploie tellement de termes différents aujourd’hui. Je trouve ces personnes fascinantes car elles sont la résonance de notre propre mal-être, avec des codes différents. »

 La société fait-elle assez d’efforts pour favoriser l’épanouissement des personnes souffrant de handicap mental ? « Je trouve que des progrès ont été faits, notamment quant à la formation du personnel qui les encadre et dont je suis très admirative. J’habite près d’Évreux, en Normandie où j’ai visité un hôpital psychiatrique fermé assez récemment. C’était effrayant. Bien sûr, il y a encore du chemin à parcourir, des questions difficiles quant à la vie en groupe, leur désir de normalité, la sexualité… Mais on va vers un mieux. »

On est le fruit de ce qu’on a été et vécu

Yolande Moreau a appris à jouir du moment présent et des belles rencontres. Elle qui peut rester des jours seule à s’occuper de son jardin communique son goût et son respect des autres dans chacun de ses engagements. « Je n’aurais pas réalisé mes deux films, de cette façon, sans tout le parcours en arrière. Je me suis souvent posé des questions. J’ai été malade, l’occasion de faire le point sur ce qu’on a fait et pas fait. Je n’ai pas toutes les réponses mais je sais qu’un acte en entraîne un autre, et ce depuis l’enfance. Je regarde souvent le ciel, quand il est strié de traînées blanches laissées par les avions. Ça me fait penser à la vie et aux chemins qu’on choisit d’emprunter… ou pas. »

ENCADRE

La Compagnie de l’oiseau-mouche

En septembre 2012, les comédiens de cette compagnie pas comme les autres ont participé au tournage du film Henri. L’occasion de voir l’ensemble de la troupe réunie sur un projet atypique et inédit puisque la réalisatrice a choisi d’embaucher l’intégralité des comédiens.

La Compagnie de l’oiseau-mouche est un projet unique en France car il ne s’agit aucunement de faire de l’art-thérapie en mêlant théâtre et handicap mais bien de former des adultes en situation de handicap mental au métier de comédien. Résultat : les barrières tombent et de très nombreux spectateurs viennent applaudir leurs spectacles, dans la région de Lille-Roubaix ou en tournée.

 Quatre comédiens de la compagnie enseignent leurs pratiques artistiques et la compagnie a par ailleurs encadré de nombreux élèves d’établissements scolaires ainsi que des publics issus des milieux médico-social, artistique, étudiant et salarié. La transmission est au centre du projet culturel et éducatif, afin que la différence s’affirme toujours plus comme une force.

 Site : http://www.oiseau-mouche.org

FIN ENCADRE

Gilda Benjamin

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