Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Emploi/formation

Fallait-il activer les chômeurs « âgés » ?

Rester au chômage en attendant la pension ? Depuis le début de l’année, cela semble plus compliqué pour les demandeurs d’emploi de plus de 50 ans.

Rester au chômage en attendant la pension ? Depuis le début de l’année, cela semble plus compliqué pour les demandeurs d’emploi de plus de 50 ans. Ils sont dorénavant contrôlés par l’Onem. Une bonne ou une mauvaise chose ?

Les chômeurs 50+ doivent-ils s’inquiéter ? Ou bien ce qui leur arrive depuis le 1er janvier 2013 est-il une chance ? Une chose est sûre : depuis cette date, les demandeurs d’emploi jusqu’à 55 ans (voir encadré) sont contrôlés par l’Office national de l’emploi (Onem). Ce qui n’était pas le cas auparavant, puisque le contrôle s’effectuait jusqu’à 50 ans. But de l’opération : vérifier la disponibilité des chômeurs « âgés » sur le marché de l’emploi et bien sûr les inciter à trouver du travail. Pourquoi ? Rappelons que ces mesures étaient prévues dans la déclaration de politique générale du gouvernement fédéral. « Pour faire face au défi de l’allongement de l’espérance de vie et atteindre les objectifs fixés dans le Programme national de réforme (voir encadré), il faut relever le taux d’emploi de ces tranches d’âge », nous explique-t-on au cabinet de Monica De Coninck (SP.a), ministre fédérale de l’Emploi.

Programme national de réforme

En 2010, les chefs d’État et de gouvernement européens sont arrivés au constat que l’Europe avait besoin d’une stratégie pour une croissance « intelligente, durable et inclusive ». La Stratégie Europe 2020 était née. Elle comprend une série d’objectifs à atteindre d’ici 2020 dans cinq domaines, dont l’emploi. Dans ce dernier cas, il s’agira de faire en sorte que 75 % de la population âgée de 20 à 64 ans ait un travail.

Afin de suivre la mise place de la Stratégie Europe 2020, les États membres mettent au point tous les ans un Programme national de réforme (PNR) qui décrit les progrès réalisés dans l’accomplissement des cinq objectifs. En 2011, le programme belge s’est fixé un « sous-objectif » : faire en sorte d’atteindre un taux d’emploi de 50 % pour les 55-64 ans. Il faut dire que notre pays est un mauvais élève en la matière : en 2012, son taux d’emploi des 55-64 ans se trainait à 39,5 %, contre 48,9 % la même année pour la moyenne des 27 États membres de l’UE de l’époque (la Croatie est depuis lors devenue membre). Notons toutefois que le taux belge est en augmentation constante depuis 2002, année où il s’élevait à 26,6 % (source : Eurostat).

Bizarrement, on a assez peu parlé de ce dossier. En off, plusieurs intervenants évoquent une forme de résignation des « aînés » et de certains acteurs. Lorsqu’on les interroge à ce sujet, les syndicats prestent d’ailleurs le… minimum syndical, mais sans plus. On les a connus un peu plus véhéments, même si du côté de la CGSLB, on se veut un peu plus dur en évoquant « de l’agitation électorale ».

« Les chômeurs « âgés » sont désemparés »

Est-ce à dire que peu de monde se soucie des « vieux » ? Le débat est plus compliqué que cela. Car de manière générale, personne ne semble remettre en question le fait qu’il serait mieux que les plus de 55 ans – voire les plus de 50 ans – aient un meilleur taux d’emploi en Belgique. Celui-ci est assez faible en regard de la moyenne européenne (voir encadré), ce qui peut poser problème. Pour la « solidarité intergénérationnelle » tout d’abord, avec la question épineuse de la dette et du financement des pensions, mais aussi pour les demandeurs d’emploi eux-mêmes. « Les chômeurs « âgés » sont souvent désemparés. Ce sont des personnes qui ont beaucoup de compétences, mais si l’on ne les « récupère » pas dans l’année (NDLR : suivant la perte de travail), si on leur dit « Vous êtes un coût pour la société », cela peut poser problème », témoigne Anne-Sophie Parent, secrétaire générale d’AGE platform Europe, un réseau européen regroupant près de 167 organisations de personnes âgées de 50 ans et plus.

Là où le débat se fait moins consensuel, c’est concernant les modalités de cette mise à l’emploi. Pour certains, dont AGE platform Europe, activer les plus de 50 ans dans l’état actuel des choses a peu de sens. En cause notamment : les discriminations à l’embauche dont sont victimes les travailleurs âgés sur le marché de l’emploi (voir encadré) en Belgique. Autre point souligné : la mentalité qui régnerait à l’égard des 50+ au sein de certaines entreprises. Jugés trop coûteux, pas assez adaptables, pas assez flexibles, les « vieux » seraient souvent les premiers à casquer – en compagnie des jeunes – en cas de problème. « Avant la crise, nous avions constaté une amélioration du taux d’emploi des personnes âgées. Mais avec la situation actuelle, les mauvaises habitudes sont de retour », déplore Anne-Sophie Parent. Un son de cloche que l’on retrouve du côté de la CGSLB. « Ce qui est le plus énervant, c’est le paradoxe des employeurs. Ceux-ci affirment d’un côté vouloir augmenter l’âge des travailleurs alors que de l’autre ils virent ces mêmes travailleurs âgés ou ne les engagent pas », nous dit-on.

Autre problème mentionné : le cumul de cette réforme du chômage avec les changements qu’ont subis il y a peu les régimes des pensions ou de la prépension. La tendance est à l’augmentation de l’âge nécessaire pour y avoir accès. Une situation qui fragilise encore un peu plus les chômeurs « âgés ». « Au niveau européen, la situation varie d’un État membre à l’autre, mais le mouvement général est de revenir sur ce qui permettait aux travailleurs de partir à la retraite plus tôt ou de se mettre de côté en attendant l’âge légal de la pension, comme le fait de ne pas contrôler les chômeurs jusqu’à 50 ans », explique Anne-Sophie Parent.

L’activation : une aide supplémentaire ?

Pourtant, d’autres voix s’élèvent. Du côté d’Itinera institute, un think tank situé à Bruxelles qui travaille notamment sur les questions d’emploi, l’on affirme que l’activation des chômeurs jusqu’à 55 ans est une bonne chose. « Auparavant, ils étaient abandonnés à leur sort. L’activation peut être une aide supplémentaire pour ces personnes. Des études récentes de l’Onem ou du VDAB montrent d’ailleurs qu’elle a des effets positifs sur l’emploi des plus de 50 ans », explique Marc De Vos, directeur d’Itinera et professeur de droit du travail belge, européen et international à l’Université de Gand et à la VUB. Dans ce contexte, il plaide pour que l’on renforce l’accompagnement de ce type de public. La réforme de l’État (transfert du contrôle des chômeurs vers les services régionaux de l’emploi) et les Fonds transférés aux Régions suite à celle-ci pourraient-ils jouer un rôle dans ce renforcement ? « C’est en effet une question très importante : va-t-on réussir à améliorer l’accompagnement dans le cadre de la réforme de l’État ? », se questionne-t-il.

Une question à laquelle les syndicats ont en tout cas une réponse toute trouvée : « L’activation des 50+ n’aura aucun impact sur les statistiques, explique-t-on à la CGSLB. Les employeurs préféreront les plus jeunes, tout simplement parce que cela coûte moins cher. » La situation est-elle à ce point désespérée ? Marc De Vos n’est pas tout à fait d’accord. Il souligne que les mentalités ont bien évolué en quelques années, principalement dans le privé. Néanmoins, le directeur d’Itinera déplore « le manque d’initiative au niveau de la concertation sociale. Les débats entre partenaires sociaux se limitent pour l’heure à la compétitivité. Or si on veut changer les choses pour les 50+, il faut réfléchir à des mesures de maintien au travail, etc. » Des mesures qui existent déjà en partie (voir encadré), et qui pourraient avoir un effet sur les employeurs ? « On ne peut pas leur demander de tout faire, il faut des incitants », admet Anne-Sophie Parent avant de noter « qu’on ne peut pas manier le bâton vis-à-vis des plus de 50 ans en les contrôlant sans mesures positives de l’autre côté. La Finlande a connu une grosse crise économique dans les années 90. Ce pays a lancé un plan impliquant les partenaires sociaux, les organismes de l’emploi. Il a permis de relever le taux d’emploi des seniors, de gérer la pyramide des âges dans les entreprises. Cela a fonctionné, mais il faut que tout le monde partage la même vision ». Reste à savoir si cela est possible dans un pays comme la Belgique…

Contrôle

Depuis le 1er janvier 2013, les chômeurs jusqu’à 55 ans qui bénéficient pour la première fois des allocations ou entrent en première période d’allocations après une interruption du chômage sont donc contrôlés par l’Onem. Avant que cet âge ne passe à 58 ans en 2016. Autre chose : l’âge de ce qu’on appelle la « disponibilité passive » (le fait de devoir accepter un emploi convenable) est passé de 58 ans à 60 ans.

Des discriminations

Dans son Baromètre de la diversité de 2012 consacré à l’emploi, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme a effectué quelques constats intéressants :

– les personnes de plus de 45 ans courent un grand risque de discrimination au moment de l’invitation à un entretien d’embauche. La probabilité pour un travailleur « âgé » de subir un désavantage discriminatoire, c’est-à-dire de ne pas être invité à cet entretien alors que le candidat jeune reçoit l’invitation, est de 7 à 8 points de pourcentage plus élevé ;

– près de la moitié des responsables des ressources humaines interrogés disent que l’âge d’un candidat exerce une influence sur la sélection finale ;

– 15 % des responsables de la sélection affirment que les candidats âgés doivent davantage faire leurs preuves que les jeunes.

Des incitants…

Voici quelques mesures en faveur de l’emploi des personnes « âgées » en Belgique.

Au rayon des aides à l’emploi, on trouve notamment :

– des réductions de cotisations sociales. Afin de promouvoir l’engagement et le maintien au travail des travailleurs âgés, les employeurs bénéficient d’une réduction trimestrielle de cotisations sociales pour chaque travailleur âgé de 54 ans ou plus qu’ils emploient. Celle-ci peut monter jusqu’à 1500 euros pour les 62-64 ans.

Concernant l’adaptation des conditions ou du temps de travail :

– les projets visant à améliorer les conditions de travail des travailleurs de plus de 45 ans peuvent bénéficier d’une subvention du Fonds de l’expérience professionnelle.

Enfin, un Plan pour l’emploi des travailleurs âgés existe également. Celui-ci prévoit notamment que chaque entreprise occupant plus de 20 travailleurs doit rédiger un plan pour l’emploi afin d’augmenter ou de maintenir le nombre de travailleurs de 45 ans et plus.

Toutes les informations sont disponibles sur le site : http://www.emploi.belgique.be/defaultTab.aspx?id=650

La réforme du chômage pour les nuls

horsseriechomageDégressivité des allocations, activation des plus des 50 ans, activation des personnes handicapées…Lire notre Hors série

 

En savoir plus

Alter Échos n° 277 du 14.07.2009 : Les pensionnés au travail ? Une histoire de plafonnement

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)