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Environnement/territoire

En 2050, à quoi carburera la Wallonie ?

Comment les choix énergétiques vont-ils affecter le territoire wallon? Creuseront-ils les inégalités entre communes? Comment les politiques d’aménagement du territoire peuvent-elles tempérer les effets négatifs? Ces questions traversent une copieuse étude réalisée par des chercheurs réunis au sein de la Conférence permanente du développement territorial. Habitat, production locale d’énergie, transport, gouvernance : ils ont élaboré six scénarios pour la Wallonie à l’horizon 2050.

05-05-2015
(C)Shutterstock

Comment les choix énergétiques vont-ils affecter le territoire wallon? Creuseront-ils les inégalités entre communes? Comment les politiques d’aménagement du territoire peuvent-elles tempérer les effets négatifs? Ces questions traversent une copieuse étude réalisée par des chercheurs réunis au sein de la Conférence permanente du développement territorial. Habitat, production locale d’énergie, transport, gouvernance: ils ont élaboré six scénarios pour la Wallonie à l’horizon 2050.

Le réchauffement climatique, la fin du pétrole, la sécurité d’approvisionnement, la maîtrise des prix: pour de multiples raisons, les gouvernements sont aujourd’hui face à des choix cruciaux en matière de politique énergétique. Des choix qui auront des conséquences, sur le plan tant environnemental que social et économique. En Belgique, ces décisions appartiennent en grande partie aux Régions. Mais comment s’orienter et se projeter dans l’avenir?

La Conférence permanente du développement territorial, qui est un outil d’aide à la décision pour le gouvernement wallon, vient de terminer une recherche qui offre de stimulantes pistes de réflexion. «Territoire et énergie 2050» propose plusieurs visions de la Wallonie d’ici 35 ans. Avec une originalité: alors que la plupart des recherches sur la transition énergétique s’attachent aux aspects technologiques et comportementaux (comment construire des réseaux plus intelligents? Comment améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments? Comment réduire la consommation?), cette vaste étude l’aborde par un angle plus inhabituel: l’aménagement du territoire.

Des transports énergivores

La mobilité illustre bien le lien entre ces deux domaines. En Wallonie, les transports représentent le deuxième poste de consommation énergétique, après l’industrie. «Les besoins en déplacement sont démesurés, en raison de la dispersion de l’habitat dans les zones périurbaines», explique Thierry Bréchet, professeur d’économie à la Louvain School of Management (UCL), qui a assuré la direction scientifique de la recherche. Les navettes domicile-travail, par exemple, dilapident des quantités impressionnantes d’énergie. Qu’on en juge: sur les 262 communes que compte la Wallonie, toutes, sauf une (Martelange), envoient quotidiennement des travailleurs à Bruxelles. Chaque jour ouvrable, ces milliers de navetteurs parcourent 14 millions de kilomètres. Beaucoup utilisent la voiture, 134 communes wallonnes n’étant pas desservies par le train. Que se passera-t-il quand le pétrole, plus rare, sera plus cher? Cette montée des prix peut rendre vulnérables les communes rurales dépendantes de la voiture. «Il ne suffira pas de mettre des voitures propres. Nos résultats suggèrent de mieux structurer le territoire, à l’échelle tant régionale que communale», explique l’économiste.

À côté de la mobilité, d’autres questions se posent. Ainsi, si la Wallonie décide d’augmenter sa production locale d’énergie, elle devra procéder à des arbitrages concernant l’occupation du sol. Les possibilités sont multiples: énergie éolienne, solaire, hydraulique, biométhanisation à partir des déchets d’élevage, agrocarburants, forêt destinée à la production de combustibles. Ces nouveaux usages du sol vont entrer en concurrence avec d’autres: le tourisme, l’habitat, l’agriculture, les réserves naturelles, etc. Des conflits vont surgir, comme on le voit déjà aujourd’hui avec l’implantation de mâts éoliens. Cette recherche propose un modèle pour calculer ces risques conflictuels en fonction des choix de production.

L’habitat, les transports, la production d’énergie: l’organisation de tous ces secteurs va donc fortement influencer la future morphologie de la Wallonie. Le type de gouvernance également, selon que la Région wallonne opte pour une régulation forte et centralisée ou, au contraire, délègue une large autonomie aux pouvoirs locaux. L’évolution démographique complexifie encore l’équation puisque, d’ici à 2050, la Région devra accueillir un demi-million d’habitants supplémentaires. Un quart des Wallons auront alors 65 ans ou plus.

Pour mieux se représenter les défis qui attendent la Wallonie, les chercheurs ont élaboré, avec l’appui de l’Institut Jules Destrée, six scénarios prospectifs à l’horizon 2050. Comme le précise Thierry Bréchet, ils ne visent pas à prévoir exactement ce qui va se passer et ne couvrent pas tous les champs des possibles. «Aucun n’est plus réaliste ou désirable qu’un autre. Mais ils sont sources d’enseignement lorsqu’on les compare et qu’on analyse leurs messages implicites.» D’où l’intérêt de les partager largement.

Une recherche pour les oubliettes?

Le chantier «territoire-énergie» intéresse-t-il le nouveau ministre en charge de l’Aménagement du territoire, Carlo Di Antonio? En tout cas, le sujet ne figure pas au programme de recherche de la Conférence permanente du développement territorial (CPDT) pour l’année 2014-2015. Et il est tentant de voir là un effet du changement de couleur politique au sein de ce ministère (Philippe Henry, le précédent ministre, était Écolo. Carlo Di Antonio est CDH). À peine terminée, cette recherche, qui a mobilisé chercheurs et budget, risque-t-elle de tomber dans les oubliettes? Nous aurons l’occasion de poser la question au ministre lors d’un entretien prévu d’ici à l’été. Pour rappel, c’est le gouvernement qui définit les missions de la CPDT. La déclaration de politique régionale prévoit une évaluation et une réorientation des missions et du fonctionnement de la CPDT, qui seront précisées dans le nouveau Code du développement territorial, dont l’entrée en vigueur est prévue en octobre 2015. L’intention est de la recentrer sur «son rôle d’analyse et de conseil au service du gouvernement, en ce qui concerne les défis du développement territorial, de l’essor démographique et du redéploiement économique wallon.»

Les scénarios

 

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Dispersion contenue

La Région wallonne exerce un contrôle régulateur fort, qui impose aux collectivités locales une politique d’aménagement du territoire volontariste pour éviter le gaspillage et le laisser-faire. Le développement résidentiel et économique s’organise autour des pôles urbains existants, avec une volonté d’utiliser les axes de circulation existants (routes, canaux, rail). La densification s’accompagne d’une préservation des espaces ruraux et naturels, éventuellement utilisés pour la production d’énergie renouvelable. Économies d’énergie, usage raisonné du sol et production locale sont les maîtres mots. L’accès à l’énergie est suffisant. Il y a même un peu de surproduction, ce qui permet d’en vendre à l’extérieur.

 

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Chacun pour soi

La Wallonie continue le «business as usual». L’habitat et les bassins d’emploi restent dispersés, les ressources naturelles et foncières sont utilisées sans modération pour satisfaire les besoins immédiats, avec des conséquences pour l’environnement. L’accès à l’énergie n’est pas limité, la dépendance vis-à-vis des ressources fossiles en provenance de l’étranger reste forte et les besoins augmentent, notamment à cause des déplacements. Il y a peu de coordination à l’échelon régional, ce qui crée une mise en concurrence des localités et un renforcement des inégalités sociales et économiques dans l’espace régional.

 

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Écologie raisonnée

La Région impose aux communes de diminuer la consommation d’énergies fossiles et facilite la production d’énergies renouvelables par des incitants réglementaires et financiers. Mais la consommation reste forte et la production, coûteuse et difficile, rend le prix de l’électricité élevé. On cherche à économiser l’énergie en jouant sur les complémentarités spatiales entre les activités industrielles et logistiques, ou le secteur tertiaire et l’habitat. Des zones de stockage s’installent en périphérie des villes pour rationaliser les livraisons. On recherche la performance énergétique des bâtiments et des moyens de transport, et les alternatives à la voiture sont fortement développées.

 

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Industrie renouvelable

La Wallonie opte plutôt pour une écologie industrielle, qui maximise les potentiels du sol et des autres ressources naturelles, au détriment de l’environnement. La part des énergies renouvelables est importante, mais elles restent très coûteuses et la consommation est élevée. Du coup, on importe du gaz, du pétrole et de l’électricité, qui sont très chers. Il n’y a pas d’effort particulier pour rechercher les complémentarités spatiales entre les activités. La population n’est pas incitée à rechercher des alternatives à la voiture. Les industries énergivores se délocalisent à l’étranger et la logistique est pénalisée par le coût du transport. Seules les communes riches ont les moyens d’isoler les logements anciens.

 

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 Économie communale fermée

La production locale sur les plans alimentaire et énergétique est exploitée au maximum, chaque commune essayant d’atteindre la plus grande autonomie possible. La priorité est donnée aux économies d’énergie, notamment via des logements plus petits, ou les réseaux intelligents; la machine à laver se met en route quand il y a du vent et du soleil. Priorité aussi aux renouvelables qui n’empiètent pas sur l’espace agricole et forestier. Il n’y a plus d’extension de la zone urbanisée et les déplacements de personnes et de biens vers d’autres communes sont réduits. Les mentalités privilégient le collectif mais à petite échelle. Cette production optimisée ne compense pas complètement les besoins et une partie de l’énergie doit être importée à prix élevés.

 

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La chèvre et le chou

La transition énergétique s’appuie essentiellement sur les technologies. La Région pousse à l’isolation des bâtiments, la promotion de véhicules efficients et électriques, met en place des réseaux intelligents pour rendre plus efficientes la consommation et la production d’énergie. Il s’agit de diminuer la consommation d’énergie fossile en raison de son prix et des taxes sur le CO2. On externalise les émissions de CO2 dans les régions émergentes qui fabriquent des produits de consommation à bas prix. La mobilité individuelle et une occupation du sol peu dense sont préservées, ce qui est le souhait des électeurs. Certaines communes restent à l’écart de ces progrès technologiques. Apparaissent, d’un côté, des communes riches où on arrive encore à augmenter le bien-être tout en contrôlant la consommation d’énergie; de l’autre, des communes pauvres où les habitants doivent accepter de vivre dans des logements plus petits, moins bien chauffés et qui éprouvent des difficultés à se déplacer.

© Illustrations Lucie Castel

En savoir plus

Territoire et Énergie en 2050, http://cpdt.wallonie.be/

Amélie Mouton

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