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Regard critique · Justice sociale

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BruXitizen : Deux générations, deux associations, un même combat

Florence et Ali, tous deux participants à BruXitizen, travaillent chacun avec des jeunes. Avec l’objectif de faire changer l’image qu’en a la société.

En parcourant les différents ateliers, nous nous sommes arrêtées à celui qu’animait Florence. Ali y participait et il est vite devenu évident que ces deux personnes partageaient des points communs : elles travaillent toutes les deux avec des jeunes, notamment d’origine étrangère, et ont pour objectif de faire changer l’image qu’en a la société. « Un jeune est un jeune, qu’importe son origine », affirme Ali à ce sujet. Comment leurs associations respectives participent-elles à ce changement d’image, quelles activités mettent-elles en place pour mettre fin aux idées reçues ? Interview croisée.

Vous qui êtes confrontés à des jeunes d’origine étrangère, qu’est-ce qui vous frappe dans l’image qui en est traditionnellement véhiculée ?

Ali : Ce qui me frappe, c’est la difficulté qu’ont ces jeunes à se situer par rapport au pays où ils vivent. On leur renvoie leur pays d’origine à la gueule en leur disant qu’ils sont marocains alors qu’ils sont nés en Belgique ! Ça pose un problème d’identification, ils finissent par se demander qui ils sont vraiment. À quel point ils sont acceptés ou pas, et ce qu’ils doivent faire pour pouvoir l’être. L’image, c’est à la tête du client… et comment changer ça ?

Florence : Quand j’ai débarqué dans une école à Cureghem, je me suis dit : « C’est l’horreur » ! Mais ce qui m’a frappée, c’est que ces publics de prime abord difficiles n’ont présenté aucun problème de comportement quand on les a pris dans leur classe lors des activités. Les seniors sont même venus me trouver en disant : « Ceux-là, c’est pas les mêmes que ceux qu’on voit à la télé ». En fait, on leur a tellement dit que c’étaient des vilains qui allaient leur piquer leur sac à main qu’ils ne se rendent pas compte que ces jeunes ne sont pas si différents de ceux qu’ils pourraient croiser dans la rue.

En quoi vos activités peuvent-elles avoir un impact positif sur cette image ?

F : On a tout un public de seniors dans les maisons de repos, assistés de A à Z, qui ne se sentent plus d’aucune utilité pour la société. Et pourtant, quand on leur redonne un rôle social, ils revivent aussi ! On n’arrête pas de nous rebattre les oreilles avec les problèmes de budget, d’argent – d’ailleurs notre société est obsédée par l’argent – mais en faisant se rencontrer ces personnes âgées avec des jeunes d’origine immigrée (alors qu’ils n’auraient jamais dû ni pu se rencontrer), on se rend compte qu’au final, ils sont très bienveillants les uns envers les autres.

A : Je crois que si l’on prend les jeunes en tant que personnes, leur comportement change. Les activités qu’on organise leur donnent la possibilité de communiquer alors qu’ils n’en ont pas souvent l’opportunité et ça les valorise, ça les responsabilise. L’objectif de l’association, c’est vraiment d’ouvrir les yeux des jeunes, d’élargir leurs horizons. On essaye de les délocaliser de leurs rues, de leurs quartiers. Parce que chez eux, ils entendent trop le discours de discrimination. Nos initiatives leur permettent de rencontrer d’autres gens et changent les images qu’ils ont chacun l’un de l’autre.

Il suffit de voir Bilal, il a participé à une vidéo qu’on a montrée ici et il est super fier des applaudissements qu’il a reçus (lire témoignage ci-contre).

Avez-vous vécu une expérience qui puisse illustrer cela ?

F : Il y a ce projet de rencontre entre des jeunes d’un quartier difficile de Bruxelles et une école de La Louvière. Et là-bas, à la campagne, dans cette école chouette avec des arbres, ceux qui étaient très turbulents dans leur quartier de Molenbeek ou d’Anderlecht se comportaient parfaitement bien.

A : Pendant les vacances, on planifie régulièrement des activités. J’ai déjà organisé la visite d’une maison de retraite avec des jeunes qui, avant d’y aller, avaient fait des bricolages à amener aux seniors. Ça a fait plaisir tant aux enfants qu’aux plus âgés !

Par contre, on voit qu’il y a quand même encore certains problèmes. Il n’y a pas longtemps, on a organisé une rencontre entre les jeunes de l’association et la police. Tout le monde en est sorti satisfait. Mais le lendemain, dans La Capitale, on trouve en gros titre « Dialogue de sourds entre des jeunes et la police à Molenbeek ». Molenbeek, ça fait vendre dans le sens négatif et si l’on vient avec des choses positives qui s’y sont passées, ça ne va pas le faire… Enfin, il ne faut pas généraliser, Télé-Bruxelles a filmé la rencontre et posté une partie de la vidéo sur son site. Donc on peut quand même voir que tout s’est bien déroulé.

Rencontrez-vous des obstacles dans l’organisation de ces activités ?

A : Pour moi, notamment le type de public qui y vient. Les gens qui participent aux activités ont déjà un esprit très ouvert à la base, alors que ce sont les plus réfractaires qui devraient constater à quel point leurs idées ne sont pas fondées. Un autre problème important est l’encadrement scolaire. Il suffit de voir aujourd’hui, il n’y a que Bilal qui a pu rater les cours pour venir à BruXitizen. Puis il faut le dire aussi, on manque d’argent. Même pour obtenir une petite enveloppe, c’est difficile. On se débrouille comme on peut.

F : On fait quand même partie des pays les plus riches du monde, il y a plein de potentiel et de matériel, dont on n’a pas forcément besoin cent jours par an. À nous de démultiplier les collaborations, et du matériel, on en aura dix fois plus. Les moyens, si on les fédère, si on les partage, on les aura ! Par contre, tu parlais du public, moi j’aimerais bien que les gens qui travaillent dans les institutions européennes, qui sont eux-mêmes dans des mondes extrêmement fermés, limite ghettos, aillent rencontrer ces jeunes qu’ils ne voient qu’à travers le prisme des médias.

Selon vous, que pourrait-on faire afin de faciliter ce genre de rencontres ?

A : Communiquer, c’est très important. Il faut un bon réseau entre associations. Nous, on connaît quelqu’un qui travaille dans les médias et qui peut nous aider. C’est utile pour transmettre une image positive. Puis il faut démultiplier les collaborations, notamment en ce qui concerne le matériel nécessaire aux activités parce que ça permet de réduire les coûts.

F : Plus on en parle, plus on témoigne de ce qu’on vit, plus ça fait boule de neige. Je compte aussi sur les médias pour amplifier ce phénomène. Faire venir des seniors bénévoles dans les écoles pour aider aux devoirs ou lire des histoires, ça ne coûtera rien. On a ce potentiel dans notre société, donc qu’on arrête de nous seriner qu’on n’a pas de moyens. Tous les projets qui ont été mis en place depuis 10 ans par notre (petite) asbl ont mis des gens, des associations en contact. Il suffit d’une personne qui a la volonté, et hop, on met les acteurs ensemble. Les directeurs, aussi bien de maisons de repos que d’écoles, ne demandent que ça.

Alors oui, il y a l’enveloppe budgétaire, mais il y a aussi des choses à mettre en place, des collaborations, des démarches de don. On peut démultiplier la solidarité. Ce sont peut-être les enjeux de la société de demain.

Propos recueillis par Sophie Mergen et Hélène Masson

À 25 ans, Ali est animateur à l’asbl « La Rue » située dans le vieux Molenbeek. Depuis deux ans, tous les vendredis soir, lui et son groupe d’ados analysent et produisent des vidéos sur le thème de la discrimination et des crimes de haine.

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