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Migrations

À quoi servent les mémorandums?

Les partis politiques reçoivent des mémorandums par paquets. Élection oblige. Les lisent-ils ? Y piochent-ils des idées ? Quant aux associations, pourquoi consacrent-elles tant d’énergie à rédiger ces documents ?

Début de campagne, les partis peaufinent leur programme. Les revendications des asbl y auront-elles leur place ? © lickrCC/simon Blackley
Début de campagne, les partis peaufinent leur programme. Les revendications des asbl y auront-elles leur place ? © lickrCC/simon Blackley

Les partis politiques reçoivent des mémorandums par paquets. Élection oblige. Les lisent-ils ? Y piochent-ils des idées ? Quant aux associations, pourquoi consacrent-elles tant d’énergie à rédiger ces documents ?

Comme à chaque élection, les mémorandums font leur apparition. Chaque fédération, association, syndicat et même, parfois, entreprise, y va de son texte, plus ou moins épais. On y liste des revendications dans l’espoir de peser dans le débat politique. Un rituel, une ritournelle.

Mais attention, cette année, tous les secteurs d’activité ont été pris d’une fièvre étrange, d’un virus inexpliqué : la prolifération du mémorandum. Michel Peters, conseiller au centre Jean Gol, le bureau d’études du MR, constate une « inflation du nombre de mémorandums. C’est assez incroyable ». Triple élection oblige… les revendications triplent aussi. « Mais surtout, ajoute-t-il, les associations se professionnalisent et les documents proposés sont d’une qualité remarquable. » Même constat chez Ecolo. Saskia Bricmont, la responsable du département politique, n’est pas loin de crouler sous les textes en provenance de la société civile. « On en reçoit énormément, c’est exponentiel. La nouveauté c’est qu’aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les fédérations ou plates-formes qui envoient leurs propositions, mais aussi leurs membres. C’est peut-être dû au fait que le temps de préparation a été plus long qu’en 2010. »

Des mémorandums en veux-tu en voilà. Mais à quoi servent-ils ? Sont-ils lus ? Pourquoi les associations consacrent-elles encore du temps et de l’énergie à les écrire ?

Le mémorandum comme outil de réflexion

Certaines structures sont rodées à l’exercice du mémorandum. Elles en écrivent à la pelle depuis des années. C’est par exemple le cas du Ciré (Coordination et initiative pour les réfugiés et étrangers). Une association bien ancrée dans le paysage institutionnel de la Belgique. « Nous sommes vieux et respectables » lance Frédérique Mawet, la directrice. Du coup, les partis se tournent volontiers vers le Ciré pour y puiser des idées, dont certaines figureront dans leurs programmes. « C’est la première année que des partis s’adressent à nous pour alimenter leur programme, avant même que nous ayons terminé le mémorandum », explique Frédérique Mawet. Selon elle, il n’est pas rare que « des passages entiers soient repris par les partis ». Mais la directrice du Ciré n’est pas dupe : « Ce n’est pas pour autant qu’ils vont appliquer nos propositions. » Il faut dire que le contexte est difficile dans le domaine de l’asile et de l’immigration. Les dernières années ayant été marquées par des reculs flagrants pour les défenseurs des droits des étrangers. « Nous sommes acculés de tous les côtés », affirme-t-elle. Et c’est bien là le paradoxe. D’un côté, les partis votent des textes fortement critiqués par les associations. De l’autre, ces mêmes partis se tournent vers les associations pour y dégoter quelques propositions concrètes.

Car pour le Ciré, la messe est dite. Vu le contexte actuel, pas très favorable aux migrants, le temps n’est plus aux envolées lyriques, mais plutôt au pragmatisme. « Nous pensons fondamentalement qu’il faut changer de paradigme sur ces questions, explique Frédérique Mawet, mais cela ne servirait à rien de développer ce point de vue dans un mémorandum. » Le Ciré s’appuie donc sur des mesures censées être réalistes, ou, en tout cas « utiles et entendables ».

D’autres, comme Christophe Cocu, le directeur de la fédération d’organisations de jeunesse, Relie-F, pointent l’intérêt des mémorandums au sein même des institutions : « C’est un projet collectif qui met autour de la table l’ensemble des acteurs de l’association. Cela permet de lever son nez du guidon pour replacer son action dans un cadre plus général : la société, les institutions, etc. »

Au sein de la Fédération d’économie sociale SAW-B, on dépeint aussi le mémorandum comme un objet aux qualités multiples. « Cela sert à rappeler aux candidats qu’il y a une autre manière de faire de l’économie, nous dit Marie-Caroline Collard, la directrice. C’est aussi un exercice de démocratie interne. C’est l’occasion de prendre du temps avec les organisations membres pour pointer des enjeux, avoir des positions communes. » Un processus qui peut s’avérer assez long. Chez SAW-B, les consultations internes ont commencé en septembre alors que le texte final n’a été publié qu’en février. Pour une grosse fédération comme la SAW-B, le mémorandum n’est qu’un « outil dans une panoplie », constituée de débats publics, de contacts formels et informels avec des responsables politiques, dans le but de peser. Non seulement sur les programmes, mais aussi, et surtout, sur les accords de majorité.

« On ne connaît pas bien le monde politique »

Il y a aussi les petits nouveaux. Ceux pour qui l’exercice du mémorandum est encore frais. C’est le cas de l’Association des maisons d’accueil et de services aux sans-abri (AMA), où le premier recueil de revendications fut rédigé en 2009. Déborah Oddie, la coordinatrice, affirme que le mémorandum est accompagné d’un espoir : « Celui d’influencer un peu la campagne et peut-être les programmes. » Pour cela, la question du timing est cruciale. « Nous nous sommes demandé quand sortir le texte, explique la coordinatrice. À quel moment les partis élaborent leur programme, car on ne connaît pas bien le monde politique ni son timing. » Pour l’AMA, le mémorandum est plus qu’une liste de revendications. « C’est aussi une sorte de carte de visite, précise Déborah Oddie. Peut-être l’occasion de tisser un lien plus régulier avec les responsables politiques. »

Enfin, il y a ceux passent leur tour. Ceux-là sont peu nombreux. Dans le secteur de la jeunesse, les deux grandes commissions consultatives n’ont rien produit. Ni la Commission consultative des organisations de jeunesse, ni la Commission consultative des maisons et centres de jeunes, pourtant coutumières du fait. Pour Cédric Garcet, qui préside cette dernière, il n’y avait pas forcément « l’énergie, le temps… et l’intérêt. Nous nous sommes posé la question de l’investissement au regard des résultats que ça aurait », dit-il. Et puis, les membres de ces commissions sont elles-mêmes impliquées dans des démarches d’interpellation des politiques. Sous la forme d’un « manifeste » côté Fédération des maisons de jeunes, ou de mémorandums plus classiques dans les organisations de jeunesse.

Quel accueil dans les partis…

Que font les partis de ces textes qui s’accumulent ? Au CDH, comme chez Ecolo, au MR ou au PS, on affirme, campagne électorale oblige, « lire tous les mémorandums », ou, du moins, « tous les parcourir ». Même si les conseillers qui les épluchent, la plupart dans les bureaux d’études, regrettent que, bien souvent, « les mémorandums arrivent trop tard ». C’est ce qu’affirme Xavier Bodson, conseiller à l’Institut Émile Vandervelde, le centre d’études du parti socialiste : « Le programme s’écrit jusqu’en février. Pour qu’une proposition soit introduite après, il faut qu’elle ait une importance significative. »

« Il est impossible d’actualiser continuellement le programme », confirme Saskia Bricmont, chez Ecolo. L’élaboration des programmes a souvent été le fruit de débats internes au parti, avec l’apport d’experts, d’interlocuteurs de référence. « Il y a tout un travail en amont. Nos propositions ont été discutées avec nos interlocuteurs permanents. »

Malgré ce léger décalage entre l’élaboration d’un programme et la publication d’un mémorandum, il arrive très souvent que les partis s’inspirent directement de mesures proposées par la société civile. Xavier Bodson évoque les propositions de la Ligue des familles sur le temps scolaire. « Sur le réaménagement des rythmes scolaires, explique-t-il, la Ligue des familles fait des propositions clé en main. Nous n’allons pas forcément les reprendre telles quelles. Mais nous nous approprions le constat : ‘Il faut revoir les temps scolaires’, sans rentrer dans le détail. Car le but du programme est de négocier un accord de majorité, puis une déclaration de politique gouvernementale. Dans la formulation, il faut laisser une marge de manoeuvre pour la mise en place de mesures qui, elles, seront plus, précises. » Une façon de voir que partage Antoine De Borman, directeur du centre d’études politiques, économiques et sociales du CDH : « Parfois, les revendications des associations sont très précises et techniques. Elles n’ont pas forcément leur place dans un programme, dont le but est de présenter une vision sociale. Il est important de ne pas s’enfermer dans une seule voie. » Le CDH affirme s’être souvent inspiré des revendications des associations. « C’est le cas avec le Housing first pour les sans-abri. La priorité est d’abord de donner un toit, comme un levier vers l’insertion sociale. » Au MR, Michel Peters cite volontiers une étude de la Fondation Roi Baudouin sur la pauvreté des travailleurs indépendants. « J’avais oublié d’intégrer ce chapitre dans notre programme, je dois bien l’avouer. La lecture de l’étude de la FRB m’a permis de retravailler ce thème qui figure désormais au sein du programme du MR. »

Tous les mémorandums ne sont pas sur un pied d’égalité. Les grosses fédérations ont plus de poids que les petites associations. Les liens idéologiques entre le parti et certaines associations jouent à plein. Idem pour les liens interpersonnels. D’autres facteurs sont pris en compte, et concernent la pertinence des propositions. « Au plus la réflexion est aboutie, au plus elle est concrète, au plus c’est utile. Tout chiffrage est bienvenu », nous éclaire Saskia Bricmont.

L’origine de la proposition est aussi importante. Exemple par Xavier Bodson : « Quand une confédération de jeunesse parle d’enseignement, c’est intéressant, mais cela reste très général, sans forcément une grande originalité. Quand c’est le mouvement Changements pour l’égalité qui propose quelque chose dans le domaine de l’enseignement, nous le lirons plus attentivement. » C’est ce constat que partage un autre conseiller, ayant préféré rester anonyme. « Les organisations de jeunesse, par exemple, veulent avoir un point de vue jeune sur tous les sujets. La conséquence est que les propositions restent souvent très générales. » Joachim Wacquez, du Conseil de la jeunesse, admet que le mémorandum de son organisation « est peut-être moins concret, mais nous partons d’une parole collective sur des enjeux forts qui touchent les jeunes au quotidien. L’emploi, les mesures sécuritaires. Ces questions font mouche auprès des partis ».

Enfin, certains partis remarquent que bon nombre de revendications des associations concernent leur propre refinancement. Ce qui, de fait, entraîne une concurrence entre acteurs associatifs. « Chacun prêche pour sa chapelle, nous dit anonymement un conseiller. Mais le budget a une finitude et les revendications des uns et des autres sont parfois contradictoires. Il faut faire la balance entre toutes les propositions et les passer au tamis de nos priorités. » Des priorités qui seront mises en avant lorsque le temps des négociations et des compromis commencera. Et là, c’est un autre programme.

« Au plus la réflexion est aboutie, au plus elle est concrète, au plus c’est utile. » Saskia Bricmont, Ecolo

Aller plus loin

Alter Échos n° 378 du 21.03.2014 : Élections : jeunes à l’école de la politique

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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