Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Logement

6.500 logements, mais pour quand ?

À Bruxelles, 40.000 ménages sont en attente d’un logement social. Et la hausse constante des loyers rend l’accès au logement de plus en plus difficile dans une ville où 60% des habitants sont locataires. Élargir le parc de logements sociaux, qui stagne autour de 39.000 unités, apparaît donc comme une priorité incontournable. Le gouvernement a mis des moyens budgétaires sur la table. Mais l’accès aux réserves foncières, notamment des communes, reste un problème majeur.

© Flickrcc Laure Wayaffe

À Bruxelles, 40.000 ménages sont en attente d’un logement social. Et la hausse constante des loyers rend l’accès au logement de plus en plus difficile dans une ville où 60% des habitants sont locataires. Élargir le parc de logements sociaux, qui stagne autour de 39.000 unités, apparaît donc comme une priorité incontournable. Le gouvernement a mis des moyens budgétaires sur la table. Mais l’accès aux réserves foncières, notamment celles des communes, reste un problème majeur.

Le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBDH) a fait les comptes: entre 2000 et 2009, le parc de logements sociaux, à Bruxelles, s’est accru de 338 malheureuses unités. Sur la période 2010-2014, c’est un peu mieux: 1.013 logements seraient sortis de terre. La production reste très insuffisante pour combler l’immense besoin de logements abordables qui se fait sentir dans la capitale. D’autant que «même si on produit un peu d’un côté, on doit vider de l’autre pour rénover. On est proche du statu quo», note le RBDH. Pourquoi les pouvoirs publics éprouvent-ils tant de peine à mettre en œuvre ce chantier?

Pour comprendre, il n’est pas inutile de se pencher sur la manière dont fonctionne la fabrique de logements publics à Bruxelles. Aujourd’hui, elle dépend de deux enveloppes budgétaires distinctes: le Plan régional logement, voté par le gouvernement bruxellois en 2005, et l’Alliance Habitat, qui a vu le jour sous la précédente législature, en 2013. Le Plan régional logement, doté d’un budget de 540 millions d’euros, prévoit la construction de 5.000 logements, dont 3.500 logements sociaux et 1.500 logements moyens. L’Alliance Habitat, avec 953 millions d’euros, ambitionne de son côté de produire 6.720 logements publics, dont 3.000 logements sociaux. À la différence du Plan logement, dont le principal maître d’œuvre est la Société régionale du logement bruxellois (SLRB), l’Alliance Habitat veut recourir à une palette d’acteurs plus large (voir encadré). Ces deux enveloppes s’additionnent, l’Alliance Habitat permettant de poursuivre la dynamique enclenchée par le Plan régional logement dans les années à venir. Mais ce ne sont là que des résolutions budgétaires, comme nous le précise une source. «À partir de là, tout reste à faire. Il faut encore identifier les sites, demander les permis d’urbanisme, lancer les procédures de marché public.»

Le foncier, nerf de la guerre

Cette étape opérationnelle a pris énormément de temps dans le cas du Plan logement. Prévu au départ pour s’exécuter sur cinq ans, il est toujours en cours à l’heure actuelle. «Près de 1.400 logements ont été réceptionnés et environ 1.800 logements le seront à l’horizon 2019», précise la SLRB qui dit avoir mis sur les rails une soixantaine de projets totalisant plus de 4.000 logements. Cinq projets sont bloqués «pour des raisons indépendantes de sa volonté».

Pourquoi cette lenteur? Le RBDH, qui a consacré un excellent dossier au sujet (1), pointe notamment un gros couac au démarrage: il a fallu attendre 2007 pour que la secrétaire d’État au logement de l’époque, Françoise Dupuis, fasse réaliser un inventaire des terrains publics susceptibles d’accueillir ces nouvelles constructions. Et c’est seulement en 2013 que l’ensemble des terrains nécessaires à la réalisation des 5.000 logements a été identifié! «L’Alliance Habitat n’échappe pas à ce constat», estime l’association. «Si des moyens financiers substantiels sont dégagés pour permettre de produire plus de logements publics locatifs (…), le foncier pour les accueillir est encore pour partie une donnée inconnue.» Or, c’est sur l’Alliance Habitat que s’appuie la promesse du gouvernement de produire 6.500 logements publics (dont 60% de logements sociaux) lors de cette législature. Si le chantier avance au rythme de celui du Plan logement, ce n’est donc pas de sitôt qu’on pourra faire le bilan.

Jusqu’ici, toujours selon le RBDH, ce sont surtout les réserves des institutions régionales et des sociétés immobilières de services publics (SISP) qui ont été mises à contribution: elles représentent 77% des projets exécutés dans le cadre du Plan régional logement. Or, les CPAS et les communes, particulièrement celles de la deuxième couronne, disposent encore de nombreux terrains. Mais la Région a du mal à les faire participer à l’effort. «Du point de vue des finances communales, les locataires sociaux ne sont pas les candidats les plus séduisants», souligne le RBDH. La Région doit également composer avec 19 collèges communaux d’obédiences politiques diverses. Un manque de concertation avec certains pouvoirs locaux a parfois entraîné des conflits, quand il ne s’agissait pas de riverains vent debout contre certains chantiers, au nom du vieux réflexe NIMBY: «Pas dans mon jardin». En tout, seules neuf communes auraient accepté de libérer des terrains pour le Plan régional logement, «en exigeant le plus souvent en contrepartie une proportion plus importante de logements moyens», relève le RBDH.

L’enthousiasme des pouvoirs locaux ne semble pas davantage au rendez-vous pour l’Alliance Habitat, comme le confesse à demi-mot la SLRB: «Un appel à projets a été lancé en mai 2014 auprès des communes, CPAS et SISP et une trentaine de projets totalisant plus de 1.000 logements ont été introduits. C’est en dessous des objectifs escomptés. Cela obligera certainement la Région à envisager d’autres pistes pour trouver du foncier. Sans présager des décisions du gouvernement, on pourrait imaginer qu’on se dirige vers des opérations de réhabilitation d’immeubles industriels ou de bureaux en logements.»

Des quotas?

Sous la précédente législature, il avait été question de forcer la main aux communes en imposant un quota de 15% de logements publics dans chacune d’entre elles, à l’image de ce qui se fait en France ou en Wallonie. La mesure a été abandonnée, tant les pressions ont été fortes. Pour Nicolas Bernard, professeur de droit à Saint-Louis, la relance de ce projet pourrait cependant être un indicateur du volontarisme de l’actuel gouvernement à faire avancer le chantier. Ce dernier ne l’a apparemment pas complètement perdu de vue puisque la SLRB dit travailler avec ce quota de 15% en tête «afin de répartir de manière homogène les logements publics sur l’ensemble du territoire bruxellois». Mais rien de coercitif. Elle se contente donc de constater que «quelques communes n’atteignent pas cet objectif alors que d’autres se sont engagées pleinement».

C’est plutôt la méthode douce qui semble avoir les faveurs de Céline Fremault, la ministre du Logement, pour l’instant. Elle a annoncé, fin mai, la création d’une nouvelle fonction, le «référent logement». Sa mission sera d’«améliorer la dynamique de production de nouveaux logements à finalité sociale sur le territoire régional». Il devra notamment renforcer «la concertation des différents acteurs et services concernés en amont» et veiller à «l’utilisation efficiente de l’ensemble des ressources foncières publiques disponibles, tant communales que régionales, ou d’autres institutions publiques». Son entrée en fonction se fera en principe fin 2015. Le gouvernement a en tout cas du pain sur la planche s’il veut lancer la production de 6.500 logements publics sous cette législature. Il annonce qu’il se concentrera prioritairement sur les 10 nouveaux quartiers, dont la zone du canal.

Alliance Habitat

– SLRB: 3.000 logements sociaux et 1.000 logements moyens;

– Fonds du logement: 1.000 logements acquisitifs;

– Citydev: 1.000 logements;

– Contrats de quartier: 600 logements modérés et conventionnés;

– Community Land Trust
: 120 (curieusement, la SLRB n’en a plus fait mention lors de nos échanges).

Remarquons que, dans la Déclaration de politique régionale, le gouvernement annonce une réévaluation des moyens budgétaires engagés dans le Plan régional du logement et l’Alliance Habitat. Et explique qu’une partie de ces moyens pourrait être réorientée vers le secteur privé afin de l’inciter à construire du logement public ou à socialiser une partie de son parc immobilier.

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) RBDH, «Produire des logements sociaux aujourd’hui et demain : le foncier, les finances», Art. 23 n°58. La publication donne un détail précis des projets du Plan logement et de leur localisation. www.rbdh-brrow.be

 

Amélie Mouton

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)